Témoignage de Mohammed – guerre du Darfour

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Témoignage de Mohammed - Soudan
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Je veux oublier mon pays

Guerre du Darfour, Soudan, 2003, conflit en cours
Mohamed, Soudanais

Entretien en arabe, traduit par Djerbi Ali

Mohamed est né en 1985, au Soudan, à Malit, dans la région du Darfour, au Sud-Ouest du pays. Un premier conflit armé lié à des tensions ethniques se
répand dans cette partie de l’Afrique de 1987 à 1989. Le 26 février 2003 réveille les tensions larvées et la guerre du Darfour éclate à nouveau. Elle parachève les massacres et devient génocide.

En 2003, Mohamed a 18 ans et est étudiant. Il se rappelle avoir toujours connu des conflits dans son pays. Les mouvements de rues agitaient la vie quotidienne.

Ce matin là, le 23 février, à neuf heure exactement, dans sa salle de classe, Mohamed et ses camarades entendent les bruits des armes à feu et des explosions.

Un conflit entre opposants et militaires se déclare dans la région. Terrifié, il pense aussitôt à sa famille mais croit naïvement que se sont des exercices militaires.

En réalité c’est la guerre qui surgit par surprise. Et tout va très vite. En deux ou trois jours les opposants ont réussi à prendre le pouvoir. Puis, tout aussi rapidement, tout s’arrête. Est-ce vraiment fini ? Peut-on faire confiance à ce nouvel ordre ?

A partir de cette période, tout, dans le pays reste ouvert par intermittence et un calme provisoire règne. Au bout de quelques jours, le gouvernement accuse le peuple d’être rebelle et pour le combattre envoie de nombreux militaires.

Pour reprendre le pouvoir, l’armée se déchaîne sur son peuple.

Elle ramasse des habitants les accusant de collaboration, les amène dans des camps, les fait prisonniers, les torture pour qu’ils parlent. Mais les hommes ne savent rien. Il faut donc enrôler de force et les jeunes deviennent la cible idéale. Le gouvernement les corrompt avec de l’argent.

A chaque soulèvement, des jeunes sont parqués, et le lavage de cerveau commence. L’objectif est simple : en faire des combattants qui tuent aveuglement.

La peur et la corruption sont partout.

Par chance, Mohamed échappe au soulèvement et n’a qu’un seul souhait : aller à l’école.

Malgré les événements, il tente de poursuivre ses études mais la réalité s’impose et il doit renoncer. La pression du gouvernement est trop forte. Il faut alors partir, fuir, tout quitter et espérer au bout d’une longue traversée, une vie meilleure, loin de la guerre, de la peur et des tortures.

Après 30 ans de vie au Soudan, Mohamed part et laisse au Darfour, sa femme enceinte d’un fils qu’il ne verra jamais.

Il prend la route et la mer. Pendant 36 heures, il voyage. En camion, il parcourt la Libye du sud au nord et embarque sur les rivages incertains de la Méditerranée, dans un bateau de fortune.

L’Italie est au bout.

— En Italie je me suis senti en sécurité, enfin sauvé.

Là il peut souffler, respirer un air nouveau, regarder devant lui, ne plus s’inquiéter des armes et des massacres. Ne plus avoir peur, tout simplement, et revivre sous l’ordre civilisé des états de droits. Il décide de poursuivre sa route jusqu’en France. Pourquoi la France ?

— Parce que c’est le pays des Droits de l’Homme.

Mohamed dit qu’il pourrait parler des jours et des jours de son pays, mais il préfère oublier. En France depuis 2017, il n’est jamais retourné au Soudan et n’a jamais revu sa femme ni serré son enfant dans ses bras. Il se bat ici pour apprendre la langue et chercher un travail. Depuis 2020, il a une carte de séjour pour une durée de dix ans. Sa femme a ainsi pu faire une demande auprès de l’Ambassade pour le rejoindre. Ils attendent une réponse.

Pour enfin commencer à revivre.