Témoignage de Françoise – 39/45

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La longue peur des allemands

Seconde guerre mondiale 39/45
Françoise
Françoise, pétillante et élégante, est née en 1937, à Orthez, qui pendant la seconde guerre mondiale est une zone occupée par le régime allemand. Issue d’une famille bourgeoise, un père dentiste, une mère pharmacienne, et malgré un certain confort matériel, elle a pourtant connu la peur, l’incompréhension et les silences propres à tous conflits armés. La guerre est égalitaire en ce sens qu’elle n’épargne personne.

Mon père était prisonnier en Allemagne. Je priais chaque soir avant de me coucher, devant sa photo où il était vêtu d’un uniforme. Il avait fait ses classes à Rochefort avec les étudiants de médecine parmi lesquels le futur professeur Leng-Lévy, dont il gardait un excellent souvenir tant il était rigolo.

Lorsque les allemands défilaient en chantant « Heili, Heilo », Françoise, qui aimait beaucoup les chants militaires, se précipitait à la fenêtre de la chambre de ses parents, la chambre rose qui donnait sur la rue. Mais les joyeuses mélodies éveillent aussi des craintes.

– J’ai longtemps eu peur des Allemands. Quand je jouais avec les copines de la maison et que nous entendions arriver des avions, nous allions vite nous abriter dans l’espace couvert entre cour et jardin.

Les allemands étaient une présence quotidienne très invasive puisqu’ils ont occupé la maison et surtout le cabinet dentaire de son père, prisonnier. Présence insupportable pour la mère qui a décidé de déménager au-dessus de la pharmacie. Loin d’eux mais pas libre pour autant.

Le couvre-feu pour moi ça signifie quelque chose : interdit de sortir à partir de 19 heures. Ma mère, frondeuse, rebelle, dissipée sortait toujours après. Elle sortait oui ! Souvent pour venir me voir à Salies où j’étais en cure à cause d’une coqueluche. Ma mère vivait comme si rien ne pouvait lui arriver. Je me souviens d’un soir où avec maman, au retour de La Poste, nous bavardions avec Jeanne et Cécile, les mercières d’à côte de la pharmacie de mon grand-père. Soudain, deux soldats allemands sont apparus au coin du café, tout prés. Maman et moi, nous sommes vite échappés car c’était l’heure du couvre-feu et nous l’avions dépassée.

Nous avons couru jusqu’à la porte d’entrée de chez ma Grand-mère, qui n’était pas fermée à clés. Nous sommes montées au premier étage où était la chambre de ma grand-mère, une grande pièce donnant sur la rue. Et là, maman, épuisée, s’est évanouie.

Sa mère était rusée et savait jouer de tous les codes. Les pneus de la voiture du père avaient été réquisitionnés. Alors elle circulait à bicyclette bleue, avec un panier pour Françoise.

Un jour, convoquée à la Kommandantur, elle a décidé d’amener sa fille pour apitoyer les allemands. Elle voulait surtout que son mari soit libéré. Pour cela, elle a essayé de faire intervenir le Colonel Von Kelmer qui venait souvent lui rendre visite à la pharmacie et qui faisait monter Françoise sur son cheval. Elle a maintes fois demandé la libération de son époux, a insisté auprès du colonel, mais sans succès. Lorsque ce dernier a quitté Orthez pour aller sur le front de lEst, il est venu faire ses adieux  à la pharmacienne, un baise-main car « il était aristocrate ». Elles ont appris plus tard quil avait été tué là-bas. On s’arrange avec le réel pendant la guerre. On agit pour survivre. La guerre a aussi quelque chose à dire de notre géographie en plus de notre histoire. Elle meurtrie et martèle le sol sur lequel on vit.

– Un soir, malgré les volets fermés recouverts de papier noir, les allemands frappent à la porte de la salle à manger qui donnait sur la cour. Nous étions à table. Ils ont dit qu’on voyait de la lumière dehors. Je me suis réfugiée à la cuisine me cacher. Et ai attendu qu’ils partent.

La peur demeure, s’installe en soi et à chaque occasion resurgit du lointain.

Un jour avec mes parents, en allant en Espagne j’ai pris les douaniers pour des soldats SS. J’étais terrifiée, mes parents ont renoncé à franchir le poste de frontière. Rien ne pouvait m’apaiser à part ce retour précipité à la maison.

39/45 était une guerre de silence. Il fallait se débrouiller, pour soi et pour sa famille, et ne rien dire de ses actes.

Ma mère logeait des gens et elle risquait gros. Elle les aidait à passer en zone libre, pour aller en Espagne. A la fin de la guerre,  les communistes sont revenus nous remercier. Moi, je pensais que passeur était un métier ! Le troc aussi était partout. Ma mère échangeait le sucre, elle en avait beaucoup à cause des sirops qu’elle fabriquait à la pharmacie, contre du beurre, très difficile à trouver.

En 44, le père de Françoise rentre. Sa mère va le chercher  Bordeaux.

– Il s’est mis à ma hauteur pour me retrouver, j’avais 5 ans. Je regrette aujourd’hui de ne pas lavoir interrogé sur sa captivité, jai certainement manqué de curiosité.

Tous ensembles, réunis enfin, ils ont pu vivre la libération. Ce jour de fête fut pourtant un jour d’angoisse. Une bombe explose sous les fenêtres des balcons patriotes. Les « collabos » ont fait sauter la quincaillerie à côté de la pharmacie dont les vitres ont volé en éclat.

Je me souviens qu’on a pu sortir le drapeau français à la fenêtre. Très vite après dans la journée, il a fallu le retirer. Le bruit courrait que les Allemands revenaient.

Puis la rumeur a cessé et tous ont compris que c’était une fausse alerte. La fin de la guerre ? Comment y croire ? Célébrer la fin d’un conflit, soit, mais l’amertume rode. La nouvelle ère de paix inaugure une période des règlements de compte où les silences et les souffrances accumulées jaillissent dans la haine et le ressentiment. 

– Dans un petit super marché de la ville, en arrivant à la caisse, le client lance, haut et fort : « Je ne te dois rien, j’ai assez payé au moment du passage de la ligne de démarcation… ». Tout le monde a entendu et compris que le propriétaire empochait de larges commissions pour son acte soit-disant héroïque.

Mais il faut bien se débrouiller. Qui sont les vrais héros ? Ceux qui se sacrifient pour leur patrie ? Ceux qui s’arrangent pour leur famille ?

Parfois aucun doute n’est permis.

 

Pendant la guerre, il y avait à très un vieux monsieur barbu à Orthez. A la libération, on a su que c’était un résistant. Il a été fusillé par les allemands, juste à la sortie de la ville, la veille de la libération. A quoi bon cette mort ?

Les souvenirs s’égrènent, autant de récits d’une vie ordinaire pendant la guerre. C’est si loin, dit Françoise. Une évocation plus tenace revient à la lumière, un souvenir joyeux qui termine notre entretien. Son père pendant sa captivité dans les camps allemands faisait du théâtre. Une pirouette de l’existence dont la trace demeure en Françoise, actrice à ses heures, elle aussi.