Témoignage de François – 39/45

portrait de François
Les enfants aussi font la guerre
Témoignage de François - 39/45
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L’émerveillement

Guerre de 39/45
François Causse

François m’accueille dans sa « maison de la belle au bois dormant », comme il la nomme. C’est un atelier de curiosité où portes et fenêtres restent ouvertes malgré l’hiver sec. François a une âme de collectionneur et un regard d’enfant terrible. Il évoque ses souvenirs de guerre au coin de la cheminée, bûches à la main, prêt à en découdre et avec le feu et avec le passé.

Ce qui frappe chez cet homme né en 1931, c’est sa jeunesse, sa vitalité et sa précision. La guerre était pour lui une source d’émerveillement. Fasciné par les avions, les voitures, les uniformes, comme le sont souvent les petits garçons, François porte sur les événements un regard curieux et ébloui. Chassant la peur, l’angoisse, la crainte, il allait dans cette guerre comme dans un jeu où rien n’était banal et tout extraordinaire. Sa perception magnifiait les faits. Une sorte de regard magique qui transforme la peur en aventure.

Direct, il souhaite jouer au jeu des questions réponses.

– Quel âge aviez-vous en 39 ?

J’avais huit ans en 39, j’ai vécu toute la guerre dans les Landes, dans cette métairie avec mes parents. Il y avait aussi un autre logement pour le personnel. Le jour où on nous a dit quil y avait la guerre, j’étais avec des amis.

Au début, on habitait  Mont de Marsan mais on a choisi de rentrer à la métairie. Mon père est parti « jouer à la guerre », à  Montauban, à la caserne de cavalerie. Il est rentré rapidement. Il racontait que là-bas, il s’amusait bien. Mobilisé dans les combats d’arrière garde, il m’a toujours raconté que c’était amusant.

En 43 sont arrivés les réfugiés alsaciens.

– Avez-vous des souvenirs précis ?

– Un matin, ma mère avait besoin d’essence pour la voiture, nous partons donc à Mont de Marsan où les allemands venaient d’arriver. Tout d’un coup, au détour d’un carrefour, je vois une voiture allemande, drapeau sur le capot. Moi j’ai des « yeux comme ça ». C’était des bataillons de chocs qui patrouillaient, ils étaient  quatre ou cinq dans l’engin. Je passe mon temps à regarder. J’ai l’esprit curieux et tout m’amusait. Je les vois encore, j‘étais émerveillé quelque part.Ensuite, le train train de la vie a repris et l’école communale. J’allais en  ville et j’avais même un passeport. Mais pour justifier ces aller-retour il nous fallait un prétexte. Ma mère qui voulait que nous apprenions la musique a eu l’idée de cours de piano en ville. On pouvait s’y rendre sans crainte. Avant 42, la ligne de démarcation bordait Mont de Marsan.

– L’occupation ?

– La cohabitation était banale. Il y avait des patrouilles armées parfois. Les magasins étaient ouverts, on pouvait payer en marks. il y avait quaussi les souris grises, des auxiliaires féminines de larmée de lair, habillées en gris doù leur nom. En ville, des allemands sont partout, des interdictions en allemand, des panneaux en allemand. Une ville en deux langues. Ils avaient cependant ordre de ne pas être désagréable, je n’ai jamais vu le contrôle de papiers par exemple. En réalité, le silence régnait. On avait pris l’habitude de ne rien dire. Chez nous, à la métairie il y avait beaucoup de gens qui arrivaient et repartaient pour la nuit…. mMon père les faisait passer, donc je ne disais jamais rien., à personne. Rester discret et muet. On ne savait pas trop à qui se fier. Donc silence.

– Il y eu un bombardement à Mont de Marsan ?

– Oui, en Mars 44. Un garçon qui  habitait à Mont de Marsan, vient à 14 heures et hurle « tous en alertes, sur le pied de guerre, il va se passer quelque chose ! » On entend alors la sirène, « Sortez de classe, filez » dans les tranchées, à ciel ouvert. Les éclats passent au dessus de nous. Les pions hurlaient « Mettez vous à l’abri ! » Nous, insouciants, on préférait regarder le ciel où 80 avions par bloc carré défilent. J’étais émerveillé, je trouvais tous ces engins fabuleux, en dehors du risque bien sûr. Puis, le proviseur court vers la tranchée. Nous, nous rions, sans inquiétude, j’étais spectateur, il y avait tant de chose à voir.

Ce fut trois minutes de bombardement, de bruit, de fracas. Une pluie de feu venue des avions américains, les Libérators qui cherchaient à empêcher les Condors allemands de décoller. Venants de Londres, les B-24 passaient, rangés en colonnes, sans un écart. Une chorégraphie aérienne. Pour se protéger les gamins portaient leur sac d’écolier sur la tête. Les avions arrivaient à 400 km/h et trois kilomètres c’était vite parcouru.Il faut comprendre que Mont de Marsan était une base allemande importante qui logeaient les Condors, patrouilleurs maritimes sur l’Atlantique, à long rayon d’action. Tout se termine et la sirène sonne la fin d’alerte. Mais soudain, une énorme explosion retentit.

– A la base, il y avait du monde, les dégâts sont importants,quinze personnes sont décédées. Quand les bombardements ont commencé, deux jeunes sont allés se cacher sous un pont, près d’un petit ruisseau. Une bombe est entrée et ils sont morts mitraillés comme des lapins. Le soir, avec un copain, on est allé faire un tour à la base. Près du petit pont, le sang des pauvres gars coulait, On a ramassé une poignet d’éclats de bombes. Puis il y eut une messe avec les allemands pour être de coeur avec nous, parce que ces « salauds d’américains » avaient bombardé et tué. Il y avait une entente cordiale. C’est étrange mais c’est ainsi.

– Que saviez-vous des camps de concentration ?

– On savait que les juifs étaient raflés. Jusqu’en 45, personne ne savait ce qui se passait en camps mais on se doutait. Quand ils sont revenus qu’on a compris.

– Comment la vie a-t-elle repris ?

– Difficilement, le ravitaillement était compliqué, on manquait de tout, de nourriture évidement.La vie a repris petit à petit, on a eu les cartes d’alimentation jusqu’à en 50. Mais très honnêtement à la campagne c’était plus facile. Le Nord de la France a souffert, nous on se débrouillait.

 Il ajoute

– Je garde le souvenir clair des américains qui m’impressionnaient. Leur matériel me laissait rêveur, ils étaient hallucinants. J’étais ébloui. Comme dans un rêve mais c’était réel.Je peux dire que 39/45, c’est lhorreur absolue. Et je pense aussi quon na rien appris de nos erreurs.

En décembre 44, il y a eu une parenthèse dans leur vie. Ils partent au Havre, visiter la famille maternelle. La traversée de la Loire est difficile, les ponts sont coupés et détruits. La voix ferrée ne repose que sur quelques rails hésitants, posés sur pilotis. De sa fenêtre François, toujours curieux, contemple la Loire qui coule vingt mètres en dessous du train. A Paris, il embête tout le monde pour voir le musée de l’Homme, le musée de la Marine et le cirque d’Hiver. Un enfant insouciant et joueur.

Et c’est l’arrivée au Havre. La gare n’est pas en bon état, tout est détruit. En se dirigeant vers la maison familiale, ils constatent le désastre matériel. Murs effondrés, vitres brisées, matériel cassé partout des éclats de ruines. Le Havre est coupé en deux, ce qui tient encore debout et le reste. Après une ligne il n’y a rien que des ruines…

Là, François se rend compte de ce que c’est la guerre.

Trois mois après le bombardement, il n’y plus rien, plus personnes. Ils  avancent parmi les reste de pierres. Les premières maisons sont éventrées, comme des images de catastrophes naturelles. Les armoires, les lits pendent des ruines et une odeur inoubliable se répand. Une odeur de bois brulé et mouillé, une odeur de feu et de pluie. Une odeur tenace que rien n’effacera jamais.

C’est tellement énorme, vous avez les bras ballants. Imaginez la moitié de Mont de Marsan à plat, les plus hautes constructions à hauteur d’une fenêtre. Des bouts de murs qui s’effritent, des amoncellement de ruines. Cela marque à vie.

Sur le moment, je ne pouvais pas prendre conscience de tout cela. C’était trop gros, trop énorme.

Ce constat fait taire la magie des perceptions enfantines. Les ruines témoignent de l’atrocité, de la destruction, elles disent la vérité des combats et fixent à jamais la guerre dans la désolation du non sens.