Témoignage de Christiane – 39/45

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Danser, se sentir vivante

Seconde guerre mondiale, 39/45
Christiane
Un village coupé en deux, des bals clandestins, une amitié de 80 ans nouée au début de la guerre, des privations, les résistants, les juifs, une vie dense et riche, des éclats de rire et la volonté de dire à la jeunesse d’aujourd’hui que c’était l’enfer cette guerre de 39/45. Christiane se raconte avec fougue et précision, d’une seule voix, la sienne.

— Quand la guerre éclate, en septembre 1939, j’ai 12 ans, suis encore à l’école où je prépare mon certificat d’étude et je dois faire ma communion solennelle. Malgré le décès de mon grand-père l’avant-veille de la déclaration de guerre, je suis innocente et insouciante. Très vite, en novembre 39, les alsaciens sont arrivés. Ils squattaient le village, un peu perdus. Les pauvres alsaciens sont venus à l’école et ont fait leur communion avec nous. Peu à peu, ils sont devenus d’ici. Depuis ce temps-là, j’ai gardé des contacts avec une de mes voisines d’alors qui a aujourd’hui 95 ans. C’est une amitié d’une vie d’une indéfectible fidélité.

Les Allemands eux, sont arrivés en mai ou juin 40. La mobilisation avait déjà eu lieu bien sûr.
Notre village a été coupé en deux à cause de la route nationale 932 qui a servi de ligne de démarcation. Mes parents habitaient en zone occupée et le village était en zone libre ! Donc nous avions l’école, l’église, la poste, le boulanger, en zone libre et nous, nous étions de l’autre côté.
Les contraintes étaient nombreuses, il nous fallait un laissez-passer que nous allions faire tamponner à la Kommandatur, installée à l’imprimerie Lacoste de Mont de Marsan. Nous partions à vélo et ces messieurs nous recevaient quand il en avait envie. L’hiver, on attendait sur les trottoirs, selon leur bon vouloir.

On avait des tickets de rationnements bien sûr. Ma sœur et moi avions droit à un kilo de sucre par mois. Mes parents à cinq cents grammes à deux. Évidemment le couvre-feu rythmait nos soirées et souvent des avions vrombissaient dans le ciel. Allemands ? Anglais ? Américains? On ne savait pas. Comment savoir d’ailleurs ? C’était notre lot quotidien ou presque.

Mes parents étaient agriculteurs, nous étions souvent dans les champs à cultiver la terre. Je vivais à côte d’un grand domaine que les allemands occupaient. J’observais, à la fois apeurée et éblouie toute la jeunesse hitlérienne qui faisait des exercices militaires. Ces hommes tous calibrés de la même taille m’impressionnaient. Tous identiques, de véritables clones ! Certes à la campagne on était mieux qu’en ville mais c’était pas facile pour autant. Il fallait tout donner aux allemands. Il y avait des contrôleurs qui comptaient vaches, veaux, cochons, pommes de terre, tout. On essayait de cacher tout ce qu’on pouvait mais tout était contrôlé par les allemands. C’était pas simple.

Bien sûr, il y avait aussi des rafles dans les environs. Un jour mon père est parti faire des courses un matin et jamais il ne revenait. On s’inquiétait beaucoup quand on a appris que les allemands cherchaient des maquisards dans le secteur. Lui n’avait rien fait mais était au mauvais endroit. Il a été emmené au Fort du Hâ, à Bordeaux, une grande prison où il est resté quatre mois.

On subissait mais avions en nous des moyens de lutter à notre manière. Dans le village par exemple il y avait la solidarité. On faisait des spectacles de théâtre pour récolter un peu d’argent et envoyer des colis aux prisonniers de Retjons et des environs. La première fois quand je suis montée sur scène pour chanter j’avais une peur bleue. J’étais pas très dégourdie. Moi à 15 ans, j’aimais danser, chanter, vivre tout simplement.
J’ai donc participé avec mes camarades à des bals clandestins. On n’avait rien, seulement la jeunesse et le désir de vivre un peu. Les plus âgés organisaient nos bals. On partait dans la forêt immense et trouvait refuge dans des granges ou des maisons abandonnées pour danser les dimanches après-midi. On avait un accordéon. C’était joyeux. Pourtant, fallait faire attention à tout ! C’était non seulement interdit mais surtout très dangereux ! Par précaution, certains surveillaient sur les petits chemins. Pour contrer les dangers, on changeait régulièrement de villages. Nous nous disions le lieu et nous partions ! Des fugues dansantes ! Des semaines en semaines on s’organisait pour aller danser. Dans ma jeunesse, je n’ai connu que cela pour m’amuser.

Et il y avait la résistance.

— Les résistants je les connaissais. Mon mari – que j’ai connu juste après la guerre – en faisait parti ! Il n’en parlait que très rarement mais je sais qu’il a participé à la Libération de Mont de Marsan. Avec ses camarades, ils étaient en haut du pont de Bats en août 1944. Les allemands étaient au fond avec des camions. Les résistants leur ont lancés des grenades et tout a explosé. Fallait le vivre, mes mots ne sont pas suffisants pour décrire la scène. Après ? Ce qui s’est passé ? C’est simple, les allemands ont attrapé un résistant et l’ont fusillé. La veille de la Libération. Une mort totalement inutile qui montre le courage des résistants et la stupidité de la guerre.

On savait l’existence des camps de déportations, les juifs aussi le savaient. Il y en avait dans le village. Je connaissais des passeurs qui en ont sauvé quelques-uns.Sincèrement, on les croyait prisonniers en Allemagne. Jamais, on n’aurait pu imaginer les camps d’exterminations, jamais.

La guerre reste un souvenir malheureux et laisse des cicatrices inoubliables. Je ne souhaite pas aux jeunes de revivre ce que j’ai vécu. On a remis la France difficilement sur les rails mais le retour à la normale a pris des années. La misère a été intense et les blessures profondes. Moi j’ai essayé de vivre ma jeunesse dans le fracas. Je n’avais pas peur. A cet âge-là on est plus courageux. En fait, je sais pas trop ce que je ressentais. Je tentais de vivre, tout simplement.

Dit sagement Christiane